Articles et chroniques

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Ainsi Va la Vie… épisode n°124... Un jour une FEMME

img118 - Copie.jpgEn ce mois de février un froid cinglant ralentit le pas des passants et tétanise la capitale. Beaubourg poursuit la construction de son énorme usine à gaz face à des touristes ébahis et des parisiens médusés devant ce trou béant  et la laideur du projet. Avec ce musée d’art moderne le président Georges Pompidou laisse une trace, dont miné par la maladie, il a fort peu de chance d’assister à l’inauguration.

 

Sam court le cachet pour simplement payer sa chambre d’hôtel et occasionnellement se nourrir. Cabarets, galas, doublages, figurations ou minuscules apparitions même dans des séries Z ou des films sans budgets apparents ; Il accepte tout. Tout, mais le téléphone  sonne peu. Et tout, ces derniers jours, se résume à rien. C’était la crise. La première grande crise qui a commencée à l’automne de l’année précédente. Ce n’était déjà pas facile, c’est devenu terriblement compliqué. Les auditions et les castings se faisant  plus que rares et la sélection d’autant plus draconienne que le choix est vaste.

 

Le fantôme de Gréco et des existentialistes hantent encore St germain des Près où Sam loge dans un bouge avec WC sur  palier et fenêtre sur cour. C’est la galère ? Non la bohème, situation qu’il sait provisoire et  dont il savoure les moindres instants même les pires. L’espoir fait vivre et il s’en nourrit ; d’ailleurs a-t-il le choix ?

 

Un jour, dans dix ans, vingt ans, trente ans, j’écrirai tout ça se dit-il en remontant la rue des Saint-Pères à quatre heures du mat après des kilomètres dans les mollets faute de pouvoir s’offrir un taxi. Il engrange.

 

Ce passage obligé a des couleurs, des sensations, des poussées d’adrénaline et des chutes de tension, des horizons qui s’illuminent et des portes qui lui claquent à la gueules…  Même les papillons dans le ventre creux les jours de grandes fringales ont toutes leurs importances. Il s’en souviendra, comme il se souviendra de tout dans les moindres détails et peut-être en parlera-t-il avec humour tout en pinçant une petite grimace. Pour l’instant Sam écrit physiquement chaque jour son histoire. Une longue et riche histoire peuplée de personnages inconnus avec qui il partage un sandwich et qui deviendront des géants et des géants que la gloire oubliera. Mais tout ça il ne le sait pas encore.

 

img116.jpgCe soir le téléphone a sonné. Ouf ! Rendez-vous Chez EMI Pathé Marconi rue Lord Byron avec un jeune directeur artistique Julien Lepers. C’est sympa mais dans tous les cas ce  sont  des rendez-vous qui ne peuvent déboucher que sur des projets à moyen ou long terme ; rien d’immédiat. Ceci dit ; Pathé est une des maisons de disques les plus prestigieuse de l’hexagone avec à son catalogue ; Gilbert Bécaud, les compagnons de la chanson, Charles Trenet, Georges Chelon et tant d’autres.

 

Un peu plus tard, le téléphone sonne à nouveau. En réalité il ne sonne pas dans la chambre de Sam. Il sonne à l’accueil et la réceptionniste qui occupe en prime les fonctions de femme de ménage, préparatrice de petits déjeuners  et confidente de tous les habitants de ce trois étages à la limite de l’insalubrité, presque exclusivement peuplé d’artistes, prend gentiment les messages et les transmet quand elle y pense. Et ce soir, Sam oublia son odeur d’eau de Cologne et de transpiration mêlées qui masquent mal ses relents d’alcool. Car ce soir,  pour la seconde fois, elle y avait pensé.

 

Ce coup de fil lui annonçait : Un petit rôle. Tout petit. Plus petit tu meurs. Et justement la mort était au rendez-vous puisque le rôle se résumait à une rafale de mitraillette où Sam encaissait et tombait d’un pont dans la Seine. Même pas un gros plan visage…Sam n’était  pas engagé pour ses qualités de comédiens dont lui-même n’était pas convaincu, mais juste parce que l’acteur prévu s’était désisté au dernier moment et parce qu’il était gymnaste, qu’il savait tomber, plonger, nager ; que ça économisait peut-être les frais d’un cascadeur. Bref peu importaient les raisons, c’était pas trop mal payé et surtout  le jour même… il était ravi.

 

Le tournage eut lieu à l’aurore et se passa très bien. Très bien malgré l’eau froide et les prises à répétitions.

 

img114.jpgA 11h Sam retrouva  son hôtel pour se changer et surtout se laver. Dehors le froid sévissait encore. Et devant son radiateur il ne parvenait pas à se réchauffer. Ces plongeons dans une Seine glacée et pourrie n’ayant rien arrangé ; Il avait attrapé la crève. Et une crève carabinée.

Pour son rendez-vous à 11h45 chez Pathé ça faisait  un peu short. Il téléphona à la maison de disque pour prévenir d’un éventuel léger retard ; coup de peau la secrétaire s’apprêtait à l’appeler pour reporter le rendez-vous au lendemain à la même heure. Entre temps, la standardiste avant de lui passer le bureau du directeur artistique, lui avait demandé  de ne pas raccrocher après sa conversation ; elle aurait quelque chose à lui demander. Le rendez-vous pris la standardiste le récupéra.

- Vous êtes auteur-compositeur et j’ai une amie qui écrit. Accepteriez-vous de la rencontrer ?

Il y eut d’abord un long blanc. Pourquoi s’adresser à lui alors qu’elle travaillait dans un des  temples de la chanson ? Et qu’elle lui semblait bien mieux placée que lui pour aider son amie ; lui qui parvenait tout juste à s’aider lui-même.

- Mais… qui est cette amie ?

- C’est ma collègue. Elle travaille au standard avec moi ou en alternance.

- Bon !... Apres tout pourquoi pas ! Elle travaille demain ?

- Oui

Et le rendez-vous fut pris pour le lendemain à 10h45. Ca laissait une heure de battement avant le second rendez-vous. Sur ces bonnes résolutions Sam ingurgita, sans se préoccuper de leurs noms ni de leurs posologies une kyrielle de médicaments fournis par sa logeuse avant de s’endormir sans interruption jusqu’au lendemain 9h.

 

Rue Lord Byron. Comme à son habitude Sam était arrivé en avance et faisait les cent pas sous les fenêtres de cet immeuble haussmannien au  rez-de-chaussée surélevé qui bordait l’entrée de la Major avant qu’une de ses fenêtres ne s’ouvre et qu’une voix à l’accent parisien tel qu’il ne l’avait pas entendu depuis Arletty  lui demande s’il était bien l’auteur-compositeur. A son oui, son interlocutrice peu loquace n’eut qu’une réponse :

- Bougez pas, je vous l’envoie !

 036.jpgSous son blouson, ses deux pulls en laine épaisse  à col roulé, son écharpe et son bonnet Sam avait plus l’aspect d’un bibendum frileux de retour de la neige pour une pub des skis Rossignol que d’un artiste. Il imagina un instant que la dame du standard allait lui envoyer directement sa collègue par la fenêtre. Et que, si elles avaient le même look et la même voix, ce rendez-vous sentait le piège. Ce doux moment d’humour le fit sourire.

 

Il poursuivait ces cents pas lorsqu’une voix dans son dos l’interpella :

- Vous êtes… Sam ne se  retourna pas immédiatement. La voix portait en elle tant de douceur qu’il ne put s’empêcher d’imaginer le physique de celle qui laissait glisser ses mots sur de si graciles intonations. Enfin il se retourna. Elle lui sourit en lui tendant la main. Un sourire éclatant, des yeux immenses, un port de reine. Cette jeune femme d’à peine vingt ans plus grande que la moyenne avait en plus du charme une qualité naturelle qui ne  s’acquiert pas,  ou très rarement ; la classe.

 

011 (2) - Copie.jpgS’il ne lui fallut que quelques secondes pour faire le tour physique de la jeune femme, Il ne répondait pas ce matin-là à un rendez-vous galant. D’ailleurs, en plus d’être mal en point, il n’avait pas le cœur à ça. Il venait juste de rompre avec une chanteuse. Rupture douloureuse. Une rupture taillée à coups de mots tranchants et de fausses vérités qui avaient largement dépassé leurs pensées. Ils le reconnaitront, à regret,  de nombreuses années plus tard.  Mais dans l’immédiat,  la blessure s’avérait  profonde, ouverte et douloureuse. Et pour pimenter l’histoire et la rendre inoubliable ;  la rupture s’était déroulée sur un quai de gare ! Plus pathétique il aurait fallu l’inventer.

 

Sam, quand même sous le charme de sa standardiste aux allures d’hôtesse de l’air en attendant la suite, invita la belle demoiselle au chaud devant un café, à lui expliquer les raisons exactes de ce besoin de le rencontrer ;.

- Je suis très très gênée de vous rencontrer, surtout dans ces conditions.

- Moi aussi, mais juste parce que je ne me trouve pas très très présentable. Mais commençons par vous :

- J’écris des poèmes, j’en ai fait lire quelques-uns à Jacky ma collègue. Et comme je suis un peu timide et que je n’ose  les présenter à quiconque elle m’a dit :

- Tes poèmes sont excellents. Ça ne doit pas rester à dormir dans un tiroir.  Alors  le prochain Auteur-compositeur qui téléphone ;  je lui demande de te rencontrer.

- Et c’est tombé sur moi !?

- Exactement !

- Pas de chance ! Vous avez de grosses très grosses pointures qui téléphonent et qui sont bien mieux placées que moi pour vous aider. Comme lui par exemple.

Le lui par exemple n’était autre que Claude Michel Schoenberg qui avançait d’un pas coulant et  décidé vers l’entrée de l’immeuble.

La discussion dura une heure. Sam lu avec attention la sélection de  poèmes qu’elle lui présentait et fut agréablement surpris. Sauf qu’elle écrivait de somptueux poèmes mais pas vraiment des chansons… Apres une heure ils avaient encore tant à partager. Elle était si curieuse d’apprendre, de savoir, de s’améliorer qu’ils échangèrent leurs  coordonnées. S’était-il passé quelque chose de plus qu’une simple rencontre ?

 

DSC03389.JPGEn une heure cette amoureuse de la littérature qui parlait peu mais parlait juste l’avait ramené vers des valeurs simples et permis d’oublier l’aspect aléatoire de sa réalité professionnelle et artistique.

 

Sam rentra à son hôtel en fredonnant un bien joli prénom. Un prénom du sud pour une fille du nord. Un prénom  qui chantait le soleil, la Provence, le calme des nuits d’été dans l’odeur des épines de pins, du thym, et des troupeaux de Nans le berger. Un bien joli prénom : Pascaline

 

La vie aurait pu suivre son cours et cette rencontre, à par sur la manière d’y parvenir,  se résumer à une jolie, et banale  rencontre si, une semaine plus tard, ayant décroché un engagement à La Grange au Bouc, célèbre cabaret Montmartrois où se produisait entre autres les plus grands chansonniers ; Sam ne se souvint de sa promesse d’inviter Pascaline à assister à son show lorsqu’il passerait dans un lieu digne de ce nom. Et c’était le cas.

Ce qui marqua Pascaline ce soir-là, à par le tour de Sam, ce fut la gentillesse et la bienveillance de  Robert Rocca, Jean Amadou qui connaissaient bien Sam, lorsqu’il passa sur scène et qu’elle l’attendait seule en leur compagnie au bar, heureuse mais angoissée.

 

Le spectacle terminé, et après le verre de l’amitié, l’heure du dernier métro pour Sam et du dernier train pour Pascaline qui habitait en banlieue était largement dépassée. Il ne restait plus qu’à perdre quelques heures en attendant un moyen de transport pour rentrer au bercail. De bars en cafés et de fermetures en fermetures Pascaline décida de ne pas rentrer et d’attendre l’heure de l’ouverture de ses bureaux et Sam de rester avec elle.

 

Ils eurent le temps de se laisser aller à déballer une longue partie de leur jeune vie. Et ce ne fut que quelques minutes avant de se séparer que leurs lèvres goutèrent à leurs lèvres.

 

Et c’est ainsi que Pascaline entra dans la vie de Sam et n’en sortit jamais. 

Ainsi Va la Vie

 

(A suivre…)

 

Williams Franceschi



11/08/2018
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