Ainsi Va la vie... épisode n°306 La belle italienne
La lumière flamboyante d’un soleil de fin d’été faiblissait à peine, et cette fraicheur du soir tant attendue, qui vous oblige à enfiler une petite laine, semblait encore bien loin, lorsque une bouteille dans une main et un livre cadeau dans l’autre, un rien transpirant, je pointais mon nez à l’entrée d’une large terrasse ombragée qui dominait une propriété à la fois simple et chaleureuse.
A cause d’un GPS, malencontreusement pas à jour, j’avais éprouvé d’agaçantes difficultés, en suivant mon fil d’Ariane foireux, à me diriger dans cet épais labyrinthe champêtre et arriver précisément, à l’adresse programmée.
Paradoxalement, à force d’angoisses injustifiées qui m’avaient poussé à me presser par crainte d’être en retard, j’étais un rien en avance et me retrouvais, un peu surpris, parmi les tous premiers invités.
Premiers invités qui constituent le plus souvent le noyau dur des plus intimes et forme un clan à eux seuls, dont évidemment, malgré l’accueil chaleureux qui me le laissait croire, je ne faisais pas parti.
L’avantage, quand on est en avance, c’est que les nouveaux arrivants viennent se présenter à vous et pas le contraire.
Débarrassé de ma bouteille et de mon bouquin, je serrais quelques mains et embrassais quelques joues parfumées, dont je ne mémorisais pas le nom de chaque propriétaire, mais pouvais par ce contact, m’en faire une idée assez précise à travers la qualité des effluves de leurs parfums ou la tonicité de leur serrage de paluches.
Guidé par l’amie et maitresse des lieux, je m’assis entre les bras d’un fauteuil de jardin en fer torsadé dans un coin discret, à l’ombre d’un chêne séculaire et face à un verre d’orangeade aux glaçons cliquetant, en attendant la suite des évènements.
La journée m’avait parue harassante. Pour affiner des idées essentielles au cœur d’un roman en chantier, dont je peaufinais les finitions, je m’étais levé vers 5h.Ces idées en étincelles, saugrenues ou lumineuses, m’avaient réveillé à maintes reprises au cours de la nuit, et par crainte de les perdre, tel un zombi, je m’étais levé pour les noter à l’arrache et à la main, sur un coin de feuille volante.
Laborieux, méthodique et déterminé, j’avais travaillé jusqu’à 16 heures presque sans discontinuer pour enfin parvenir à un résultat à peu près acceptable sur lequel il faudrait, de toute évidence, que je revienne pour donner l’impression que tout ça avait coulé de mon stylo en un seul jet et surtout; le plus naturellement du monde.
Apres une gorgée de cette orangeade, sur laquelle le froid des glaçons avaient fait son effet et la rondelle de vrai fruit plantée sur le bord du verre m’avait caressé le nez, j’observais par transparence, à travers mon verre et la lumière ambrée de son contenu, le mouvement flouté des convives, tout en me libérant peu à peu du début de cette journée.
Une journée comme tant d’autres, où à midi je ne picore plus d’une main un pseudo coupe faim sur le coin de mon bureau, mais m’oblige un vrai repas tandis que mon esprit, loin du graphisme des mots, vagabonde.
Ces journées où mes amis, me reprochent de travailler trop, et à qui je pourrais répondre, en le faisant mien, par un conseil de Charles Aznavour : « L’important ce n’est pas l’inspiration mais la transpiration ».
Oui c’est vrai, en général, ils n’ont pas tort, je travaille trop. Mais je n’ai pas trouvé de combines miracles pour obtenir les mêmes résultats en travaillant peu et aucun génie assez généreux pour me les prodiguer gracieusement.
Ce soir, enfin, je pouvais souffler. Le plus gros était fait. Et cette invitation à une soirée à laquelle je ne resterai pas tard, se présentait comme un break salutaire. Même si, en mêlant, consciemment ou pas, l’utile à l’agréable, j’y engrangerais certainement quelques situations, quelques bons ou mauvais mots, quelques attitudes, quelques réflexions, quelques images, quelques confidences inavouables ou que sais-je?
Mais, puisque j’ai intitulé ce texte « La belle italienne ». Il serait peut-être tant que j’y arrive. Et justement, pour la situer sous ces arbres; elle était assise, aussi discrètement que moi, dans un coin ombragé, à une longueur de table de ferme de mon fauteuil, que le soleil couchant nappait peu à peu de longs filets rouge sur le fond naissant du voile bleu de la nuit.
Courtoise et tendrement lumineuse, elle accueillait chaque nouvel arrivant, se dirigeant vers elle, en se levant prestement de son siège, par un bonjour susurré, souligné d’un large sourire, qui effilait plus encore le bridé de son regard à en faire disparaitre, dans cette jolie fente noire, la douce couleur de ses yeux que j’avais devinés vert et noisette.
Je remarquais, mais qui ne l’aurait pas vu? Qu’elle assistait ses poignées de mains, fermes mais délicates, d’une imperceptible flexion des genoux, proche d’une discrète révérence. Ce plus, par sa micro chorégraphie, rajoutait une note presque mystérieuse à son élégance et à l’aura de son charme.
Personne ne m’avait rien précisé sur ses origines exactes et pourtant, la chute de ses longs cheveux cerclant son visage en coulant sur ses épaules, lui donnait des faux airs de madone. Madone surgit d’un autre temps en pleine fleur de l’âge à la fois sensuelle et maternelle, que mon imaginaire superposait à de vieilles maisons de pierres bordées d’oliviers, sous un vent léger, chaud et sec, livrant sous un ciel d’un bleu inimitable des odeurs de garigues.
Ça aurait pu ressembler à la Provence et ça lui ressemblait, mais il y avait dans cet arrière-plan, quelque chose de plus sud que le sud de la France. Le sud tel que le chantait Nino Ferrer. Le sud de l’Italie. Quand les draps battent au vent sur les étendoirs, que les enfants courent, jouent crient et se cachent entre rues et chemins, accompagnés de chiens sans colliers en totale liberté et que les odeurs de cuisine s’échappent des fenêtres ouvertes comme un premier appel au sacrosaint repas en famille. Non on ne m’avait rien dit mais je savais.
Plus tard, par je ne sais quel hasard, je me retrouvais assis à table en face d’elle. Et là, plus aucun doute ne pouvait subsister. De la danse subtile de ses mains au rythme de ses paroles, jusqu’au plus généreux, du galbe de sa poitrine, le tout ensoleillé de sourires sous l’ombre de son épaisse et longue crinière brune…elle était italienne jusqu’au bout des cils et je la trouvais attachante ma belle italienne.
Mieux que des photos, mon regard l’inscrivait déjà, et au fur et à mesure que je la découvrais, au fil d’un texte dans lequel son image, libre et sauvage, marchait pieds nus sur les lignes de mes mots. En gros plan, sous une lumière tenant du clair-obscur, j’y logeais son regard sur le côté. Cette manière d’observer et d’analyser jusqu’au moindre détail en donnant l’impression de ne pas s’intéresser du tout aux autres… Bref elle se baladait devant et en moi et je faisais semblant de ne pas m’y intéresser.
Mais je compris, plus tard dans la soirée, qu’elle m’appliquait depuis mon arrivée exactement le même découpage, les mêmes observations, surtout, lorsque n’attendant que le moment opportun pour se rapprocher nous entamâmes une conversation. Conversation qui se contenta d’être légère et informelle tant elle fut coupée par des intervenants inopportuns, mais dialogue en catimini, qui nous suffit, par le fruit de ses questions-réponses, sur qui est qui et qui fait quoi, que nous nous murmurions, à confirmer ce que j’imaginais et je présume qu’il en fut de même dans l’autre sens.
Elle n’était pas que belle ma belle italienne. Elle avait tant de cordes à son arc... et ce « plus » souvent indéfinissable, qui caractérise les artistes de talent.
Non, il ne s’agissait pas d’un coup de foudre au sens où l’on peut l’imaginer.. Ma vie sentimentale étant déjà bien remplie et la sienne… là, j’avais senti un bémol. Surtout en découvrant par la proximité de sa présence, un homme aux allures de mannequin. Il formait physiquement le couple idéal, idyllique et presque parfait et pourtant… si la partition semblait bien écrite, les deux musiciens jouaient faux. Ce n’était que mon ressenti. L’amour à des secrets si bien cachés ou trop apparents qu’il ne faut pas juger au premier abord… mais !
Je ne sais pas si un jour nous nous retrouverons. Si nous pourrons approfondir les sujets que nous avions juste effleurés. Peut-on présager des cadeaux de la vie ?
Ainsi Va la Vie…
Williams Franceschi
A découvrir aussi
- Ainsi Va la Vie… épisoden° 160 Le rivage et la petite vague.
- Ainsi Va la Vie… épisode n°231… Première chronique de l’année
- Ainsi Va la Vie...épisode n°232... Mais que fait-on et que font-ils de beau pendant cette période un peu spéciale ? Sarah Biasini, Carherine Alric, Evelyne Dress, François Berléand,
Inscrivez-vous au site
Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour
Rejoignez les 196 autres membres