Ainsi va la vie… épisode n° 82 Amour, passion, confessions ...La CRISE (de la cinquantaine)
- Et si je ne voulais pas aliéner ma vie entière à un seul amour ? Si après avoir connu la vie en couple bien dans les rails, parfaitement organisée avec ; enfants, projets, vacances, une succession de plaisirs que je ne renie pas et une succession de contraintes journalières que je ne regrette pas non plus, je n’avais plus envie de poursuivre ma route dans un bien-être sûr ?....
….Et si ayant construit ma vie sur de solides fondations, alors que je pourrais me contenter de l’acquis entre confort et sécurité, j’avais envie de prendre des risques ? J’avais envie de dire oui à ceux à qui j’ai dit non. Ne serait-ce que l’espace d’un soir, d’une semaine ou d’un mois sans chercher à regarder vers un horizon dont chacun sait que c’est une ligne imaginaire qui recule au fur et à mesure qu’on essaie de s’en rapprocher ?...
...Et si je n’avais d’autres envies que de vivre le présent, sans me soucier de l’avenir ? Et si j’avais envie d’écrire ma vie comme des nouvelles de 30 pages et plus comme un roman de 380 et plus ?...
...Et si j’avais envie de passer du désir que je suscite au plaisir que j’espère ? Sans complexe et sans questions moralisatrices. Hein ! Si j’avais envie ?
- Ouf ! La tirade. Tu l’avais écrite d’avance ou t’as fait l’école de l’improvisation ?
Ma question la surprit, lui tira un sourire et comme si je dégageais le petit bouchon d’une cocotte-minute fit baisser la pression.
- En d’autres termes t’as juste envie de te faire sauter !
Devant sa moue dubitative et vaguement boudeuse je frappais une deuxième fois sur le clou.
- Ton histoire c’est juste une histoire de cul ?!... Non, de sexe. C’est juste plus élégant mais c’est exactement pareil.
- Non ! Pas que…
Me susurra-t-elle en baissant les yeux vers la serviette en papier qu’elle triturait au point de la plier comme un origami improvisé.
- Alors c’est quoi ? Une fois la ligne de la cinquantaine franchie tu pètes les plombs ? T’as envie d’aller voir ailleurs si l’herbe est plus verte ?... Tu ne t’entends plus avec ton mari ?
- Si… c’est un bon mari, un bon père…
- Mais ?
- Mais ! Reprit-elle sans conviction en poussant un soupir et son pliage un peu plus loin sur la table.
- Mais pas un bon amant ?
- Si ! … C’est pas ça. Enfin peut-être, j’en sais rien !
- Tu nages dans les doutes et au fond t’as juste envie de savoir si ton pouvoir de séduction fonctionne encore ?
- Ben non, ça je le sais. Je vois bien l’effet que fait…
Le ton manquait de persuasion.
- …Ha ! Mais entre l’effet et la suite du processus y’a une marge. D’abord franchir le pas et savoir vers qui ? À moins de se laisser guider par le hasard.
Apres m’avoir regardé fixement sans bouger un cil, elle baissa à nouveau son regard presque coupable vers ce nouvel origami que ses doigts mécaniquement pliaient dans un sachet de sucre vide.
Fallait-il lire dans ses doigts qui travaillaient seuls avec une précision d’orfèvre ou dans ce regard lumineux et triste ?
Fallait-il lire ou deviner qu’elle avait déjà franchi le pas et que toutes les questions qu’elle me posait n’avaient plus vraiment cours ? Qu’elle cherchait juste une confirmation.
Fallait-il traduire qu’elle ne demandait pas si ce qu’elle envisageait de faire était bien, mais si ce qu’elle avait déjà fait était un bon choix ? Elle n’avait besoin que d’une confirmation.
Qu’est-ce qui fait qu’on sent les choses non dites ? Si elle me posait ces questions à mots-couverts ce n’était pas pour obtenir mon Sésame. Je n’étais, je pense, pas assez intime ou peut-être trop pour détenir ce pouvoir. Elle avait simplement besoin de faire le point sur ses premières expériences qui devaient s’être révélées des échecs ou des demi-succès loin de ce qu’elle imaginait. Car si tout s’était déroulé sous les meilleurs hospices elle m’aurait présenté ça avec beaucoup moins de retenue et avec dans les yeux ce pétillant si particulier qui donne au regard des couleurs de victoire et dans lequel on peut, entre deux scintillements, deviner une toute petite exclamation passionnelle qu’on voudrait murmurer et hurler à la fois : Si tu savais ?… Et dans ses yeux là, à cet instant précis, il n’y avait rien. Aucun pétillement.
- Si je comprends bien t’as un mari bourré de qualités avec qui tu as une vie dont 90% des femmes rêveraient et pourtant…
- Et pourtant… reprit-elle en appuyant un sourire grimaçant tout en baissant à nouveau les yeux vers cet origami de malheur qu’elle trifouillait maintenant des deux mains.
- Et pourtant …Tu l’aimes encore ?
Sans lever les yeux, elle prit le temps de remonter une courte mèche au-dessus de son oreille qui n’y resta bloquée que le temps d'amorcer sa réponse.
- Si je l’aime ?...Oui je crois.
- Mais tu n’es plus amoureuse ?
- Ho ! Ça c’est un sentiment qui s’étiole vite ; trois mois trois ans...
- Ca, c’est des théories sans fondements. Moi je connais des passions amoureuses qui ont duré dix ans et même plus. Je crois simplement que ta vie manque de piment. Tu veux remplir les cases vides. Faire ce que tu n’as pas osé avant et le faire avant qu’il ne soit trop tard. Succomber à la tentation.
Comme un aveu, elle lâcha du bout des lèvres :
- C’est un peu ça !
- C’est marrant en t’écoutant me livrer tes envies, j’ai trouvé ça très masculin. Je ne m’attendais pas à de tels propos dans la bouche d’une femme.
- Ca te choque ?
- Non ça me surprend ! Ce qui prouve bien que le monde évolue. La femme libérée a un nouveau visage. Elle n’est plus simplement issue d’une élite… mais je m’éloigne. Au fond j’aime tes réactions même si je pense qu’elles sont liées à une crise. Tu fais une crise. Une crise classique à la cinquantaine. La même qu’à l’adolescence mais un poil plus dangereuse. Toute au long de la vie on traverse des crises et des remises en question. Le tout est d’être conscient que ces traversées sont plus ou moins longues et plus ou moins compliquées.
-T’as fait psycho ?
- Non j’ai fait histoire de l’art. C’est certainement beaucoup plus chiant. Mais les artistes aussi traversent ce genre de crises et ça se ressent à travers leurs œuvres.
Elle sourit et les vapeurs du café qu’elle tournait plus que de raison auraient dû embuer les verres de ses lunettes si elle en avait portées. Par chance elle devait avoir une excellente vue qui me laissait supposer qu’elle cherchait à lire son avenir immédiat à travers les tourbillons que sa cuillère dessinait comme une mini rame dans le liquide noir.
Le miroir du café avec ou sans marc ne lui livrait aucunes images claires ou floutées sur son présent et encore moins sur son avenir. Aucunes prédictions n’avaient crevé la bulle de vide dans laquelle son esprit venait de se lover. Moi-même je n’analysais plus la longue supplique sur ses envies qu’elle m’avait débitée au début. A part les bruits ambiants plus rien ne semblait désormais vouloir perturber nos silences.
J’aurais pu rester en retrait et continuer à feindre l’ignorance mais je décidais d’en sortir. En douceur mais d’en sortir. Profitant que sa main posée sur la table soit à bonne distance j’avançais la mienne en me servant de mes doigts comme des pattes de la bébête qui monte et qui monte, un mille pattes qui n’en aurait eu que cinq, jusqu’à atteindre ses premières phalanges. Puis, comme si les deux petites jambes formées par mon index et mon majeur patinaient sur sa peau j’escaladais en caresses le dessus de sa main avant que ma paume ne s’immisce dans la sienne et que mon pouce referme le doux piège.
Elle suivit d’un œil amusé le parcours de cette main transformée en étrange animal puis en petit bonhomme, avant de me regarder droit dans les yeux tout en serrant à son tour délicatement mes doigts, puis en les couvrant de sa main gauche comme pour les protéger ou en préserver la chaleur.
Nos mains entrelacées, sans ambiguïtés malgré les apparences, ne cherchaient pas à nouer un lien de séduction quelconque, mais juste à laisser circuler un courant de confiance et de mansuétude.
- Et ça s’est mal passé ?
Elle rougit. Ses yeux devinrent humides mais elle sut contenir son émotion ce qui empêcha son liquide lacrymal de déborder de sa paupière inferieure et de marquer dans son ruissellement sur la peau de sa joue l’exactitude de son état d’âme.
Ma question aurait pu la surprendre si au moment où j’avais saisi sa main elle n’avait déjà compris que j’avais compris.
- On ne peut pas dire ça comme ça. Me répondit-elle d’une voix blanche. Disons que contrairement à ce que je pensais, et c’est un peu vexant, il n’y a pas eu foule au portillon. Les occasions, les vraies furent même rares… très rares.
Je la jouais balourd pour détendre l’atmosphère.
- Ho ! Les mecs ! Quels cons ! Belle comme tu es ils ne sont pas tombés comme des mouches ?
- Pas du tout ! Surprenant non ?
Son : « surprenant non ? » Rempli de malice qu’elle me livrait en bombant le torse pour faire ressortir sa poitrine, ponctuait son jeu comique sur l’incompréhension preuve à l’appui.
- J’ai rencontré des beaux, des moches, des nazes, des mytho, des timides, des pas mal mais creux de chez creux, des mauvais coups et je t’en passe…
- Dis donc t’as pas perdu ton temps. Tu les as tous essayés pour juger ?
- Mais non !... bien sûr que non.
- Remarque si tu cherches l’aventure uniquement avec des mecs parfaits correspondant à des critères d’enfer t’es pas arrivée.
- Je sais. Et je me suis rendu compte d’une chose ; je leur fais peur.
Que pouvais-je lui répondre ? Que sa présence, son charme et sa plastique pouvaient en effrayer plus d’un. Lui dire que madame Quelconque qui passe inaperçue est mieux lotie face à la timidité des hommes ?
- J’ai rencontré quelqu’un !
- Ha ! Quand même… Mais ?
- Enfin je le connaissais déjà un peu et plus je le découvre plus…
Elle retira la paume de sa main qui recouvrait nos doigts, se saisit de sa tasse et but une gorgée de son café plus que tiède avant de poursuivre.
- Il est intelligent, plein d’humour, cultivé, gentil…
-… beau ?
- Pas mal !... Mais...
- Tu es amoureuse !
- Je crois.
- Remarque avec les qualités que tu viens d'énumérer y'a de quoi.. Espérons qu'il ne soit pas nul au lit sinon quel gâchis.
Sa réponse en grimaces feignant l'exaspération m'interdisait d'en rajouter une couche même en humour brillant ou mat.
- Mais ce n’est pas l’Amour que tu cherchais… c’est l’aventure, le dépaysement. Tu ne voulais pas déménager tu voulais voyager.
- C’est vrai.
- Et lui, qu’est-ce qu’il en pense ?
- Rien, il n’est pas au courant.
- Pas au courant de quoi ?
- De ce que je ressens pour lui. Et en plus ça me fait peur.
- De lui avouer ?
- Entre autre. Mais aussi de retomber dans ce que j’ai déjà connu.
- Mais ce que t’a déjà connu c’était pas le bagne non plus. De toute façon ou tu papillonnes, tu t’amuses et tu revis ton adolescence ou tu vis enfin celle que tu n’as pas vécu en bravant certains interdits que l’expérience t’autorise aujourd’hui, ou tu te cases…
Long silence et jeu de regards interrogatifs
- Et le trois quart du temps les deux tourtereaux retombent vite dans des habitudes qui leur collent à la peau. Ils reproduisent ailleurs exactement ce qu’ils faisaient avant. Sauf qu’ils le font avec le gout de la découverte. Un gout chargé d’adrénaline qu’ils avaient oublié. Un gout qu’ils redécouvrent. Et ce gout leur parait nouveau.
Elle acquiesça d'un haussement de sourcils très expressif avant de compléter:
- La découverte c'est magique...c'est les plus beaux instants.
- On a tant de choses a se dire..
- Avec les mots...
- Avec la peau...
Malgré le plaisir de ce bref échange je sentais qu'elle espérait une réponse plus optimiste.
- Ou alors c’est le coup de foudre boum! Et cerise sur le chapeau! L’entente parfaite dans tous les sens du terme. L’Amour majuscule qui dépasse même les rêves les plus fous..…Et puis j’en sais rien, j’ai pas toutes les réponses.
Sur cette affirmation je laissait s'installer un long blanc qu'elle ne vint colorer d'aucun mot. Elle se contenta de regards profonds presque durs oscillants de mes yeux à sa tasse qui donnaient encore plus de force à la beauté de son visage.
- Changer de vie à partir d’un certain âge c’est un luxe ! Et le luxe n’est pas à la portée du premier péquin venu. Ça demande plus, que du courage et de l’abnégation…
-Tu ne crois pas en l’amour ?
- Si ! Oh que si j’y crois ! Je ne crois même qu’en lui. Notre société est régie par trois choses : Le fric, la puissance et le sexe. Et moi je pense que c’est trois autres choses qui doivent la régir : Le travail, la passion et l’amour. Mais au début de notre conversation tu voulais faire une révolution dans ta vie et là tu es revenue à ton point de départ.
- Je sais.
- Remarque une révolution qu’elle soit politique ou géométrique c’est partir d’un point, faire un tracé circulaire et revenir d’où on était parti. En gros tourner en rond.
- Je ne sais plus très bien où j’en suis.
- Papillonner c’est une expérience ou un choix de vie. Un choix ou le mot liberté devient le maitre mot. Mais la liberté engendre toujours la solitude.
Elle m’entendait mais m’écoutait-elle ? J’avais lentement relâché la pression de ma main dans la sienne dont la chaleur était montée de plusieurs crans transmettant désormais bien autre chose que de la confiance. Mon regard, comme s’il cherchait une échappatoire, s’était fixé sur les deux mini origamis et le sien me dévorait le visage.
Mince ! Encore une fois elle avait compris que j'avais compris mais cette fois-ci il m'avait fallut du temps. Moi qui me flattais de comprendre les non-dits, de lire entre les lignes, entre les mots, de sentir, de ressentir ; là je n’avais rien vu venir. Rien vu venir. J’étais à la fois flatté, mal à aise et confus.
Ainsi va la vie…
(A suivre…)
Williams Franceschi
Conseils de la semaine:
Toujours le roman d' Evelyne Dress qui est un vrai petit bijoux sur l'amour et la passion ......La pièce Au revoir et merci! .... le Dernier Astérix .... et le recueil de nouvelles de Maryline Martin 15 formidables histoires de femmes
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